Nous avons appris avec consternation la prise de parole du Premier Ministre turc M. Recep Tayyip Erdogan, à titre du coprésident du " Projet de l’alliance des civilisations ", prévue à l’occasion de l’ouverture de la salle des droits de l’homme et de l’alliance des civilisations (salle XX) au Palais des Nations à Genève le 18 novembre 2008.
Dans ses 85 ans d’existence, les dirigeants successifs de la République de la Turquie ont transformé ce pays en un cimetière des civilisations et un enfer pour les peuples.
 En effet, la Turquie dite " moderne ", dirigés par des kémalistes, a artificiellement fabriquée l’identité turque sur la réduction en servitude et la négation de l’identité des peuples dominés, puis sur une supériorité turque de la " race ". Cette pensée fascisante a conduit le pays à d’abominables crimes de masse tels que :
    ?         le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens (1915-1916)
?         le massacre des Kurdes, Alévis et Kizilbachs de Koçkiri (1919-1921)
?         l’expulsion brutale des Grecs (1923-1924)
?         le massacre des Kurdes et des Assyriens suivant la révolte de Sheikh Said (1925-1928)
?         les massacres des Kurdes, Alévis et Kizilbachs de Dersim (1935-1938)
?         les lois iniques et les déportations d’Arméniens, de Juifs, de Grecs (1942)
?         les pogroms d’Istanbul et d’Izmir contre les Grecs, les Arméniens et les Juifs (1955)
?         la guerre contre les Kurdes (depuis 1984 à ce jour)
 
Si la " Turquie moderne " d’hier était basée sur une pensée fascisante, la Turquie candidate à l’Union européenne aujourd’hui est guère différente et M. Erdogan ne fait pas exception à la règle parmi les dirigeants de ce pays.
En effet, M. Erdogan non seulement poursuit la politique de négation et partisane de la " solution militaire " à la question kurde, mais continue à cautionner les pires violations des droits humains.

A titre d’exemple, le 2 novembre 2008, le Premier ministre turc déclara à Hakkari (Kurdistan turc) que ceux qui [kurdes] n’étaient pas contents de l’Etat turc n’avaient qu’un seul choix : quitter le pays.

En parallèle, il ordonna l’accentuation des opérations militaires au Kurdistan turc, avec l’instauration d’un état d’exception qui ne dit pas son nom, et les bombardements du Nord de l’Irak (Kurdistan irakien). A noter que ces bombardements ne sont pas les premiers et durent depuis 24 ans.

S’agissant des violations des droits humains, nous nous contenterons de donner les exemples suivants, parmi tant d’autres.

Selon le rapport annuel de l’Association des droits de l’homme de Turquie (IHD), durant l’année 2007, 66 personnes ont été victimes des exécutions extrajudiciaires ou tuées en garde à vue et 678 personnes ont porté plainte pour avoir été torturées. Durant la période de janvier à septembre 2008, 26 personnes ont été tuées dans des prisons turques et 2110 dénonciations ont été enregistrées pour violations des droits humains dans des lieux de détentions en Turquie.

En 2007, 48 périodiques ont été interdits et des procès ont été entamés contre 1 232 personnes pour avoir usé de leur droit à la liberté d’opinion et d’expression.

Les tortionnaires et auteurs de violations des droits humains continuent de jouir de l’impunité. En effet, selon la Fondation turque des droits de l’homme (TIHV), en 2006 et 2007, sur les plus de 6 000 policiers et militaires turcs faisant l’objet d’une plainte pour tortures, seuls 223 ont été jugés dont 79 ont été officiellement " condamnés ". Faut-il préciser qu’aucun de ses 79 agents de l’Etat n’a été incarcéré ! En revanche, rien qu’en 2006, 10 207 personnes ont été condamnées pour " rébellion " contre la police. Pire, les auteurs de ces violations se ventent en public en avouant leur crime en toute liberté tel M. Ayhan Çarkin qui déclara le 21 octobre 2008 à la Star TV qu’il avait tué mille personnes pour cet Etat [Turquie] !
 
Sur le plan confessionnel, la répression ne concerne pas uniquement les chrétiens, mais également les musulmans non sunnites. En effet, près de 50 000 Alévis, une communauté musulmane modérée, ont manifesté le 9 novembre dernier à Ankara pour dénoncer la discrimination par le gouvernement " islamiste ", dont ils s’estiment victimes, et réclamer le respect de la laïcité et de l’égalité des droits confessionnels.

Bien que M. Erdogan lui-même soit victime de la liberté d’expression dans le passé, il ne supporte plus de critiques à son égard. En effet, 23 ans de prison demandés pour les 25 personnes dont 6 enfants qui avaient manifesté lors de la récente visite de M. Erdogan à Diyarbakir (chef-lieu du Kurdistan turc). Il en est de même pour les élus kurdes (parlementaires et maires) qui sont victimes d’une campagne médiatique et d’harcèlement judiciaire avec " des contributions " importantes du Premier Ministre turc, les désignant comme cible et les qualifiant de " terroristes ".

D’ailleurs, le rapport 2008 de la Commission européenne confirme nos dires, étant donné que Bruxelles s’inquiète pour la liberté d’expression, les droits des syndicats, des femmes, des enfants, des minorités ; pour les cas de tortures et de mauvais traitements, l’impunité des responsables des violations des droits de l’homme…
 
Quant au Forum économique mondial (WEF), dans une étude récente qu’il a publiée concernant " Gender Gap ", il classe la Turquie en 123ème rang dans l’égalité entre hommes et femmes sur 130 pays étudiés…
 
En tant que suiveur des fossoyeurs des civilisations, M. Erdogan n’a rien à dire sur l’alliance des civilisations et encore moins sur les droits humains, car, comme on vient de voir, il est dirigeant d’un pays où les droits et libertés fondamentaux ne sont pas respectés, l’existence d’autres peuples et croyances est niée, les conflits politiques sont réglés avec le recours au militarisme et aux méthodes anti-démocratiques.
 

Genève le,17 Novembre 2008

Maison Populaire de Genève
Demir SÖNMEZ
www.assmp.org
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