Chers amis,

Tout d’abord je tiens à remercier à mes amis de l’Institut kurde de Bruxelles qui m’ont honoré en m’invitant à exposer mes points de vue sur le rôle de l’Armée dans l’état turc ainsi que son impact sur la question kurde.

Malheureusement à cause d’une crise de toux sèche maladie m’ayant cloué, je ne souhaite pas perturber la  conférence continuellement et je compte sur votre compréhension.

Franchement, je tiens également à vous faire un aveu: Je suis un peu épuisé de discuter la question du militarisme en Turquie depuis plus de 60 ans. Une vingtaine d’années en Turquie et depuis 40 ans dans plusieurs plates-formes européennes.

Le coup d’état militaire de 1971 était la raison de mon exile politique qui dure depuis quarante ans.

Neuf ans plus tard, en 1980, un autre coup d’état militaire, encore plus sauvage, a éradiqué tous les vestiges d’un fonctionnement parlementaire. Les pachas comme le général Kenan Evren m’a déchu de la nationalité turque tout comme des centaines de défenseurs des droits de l’homme en exile, turcs, kurdes, arméniens, assyriens, toutes les origines anatoliennes confondues.

Même avant mon exil, en tant que jeune journaliste en Turquie, j’avais déjà vécu un autre coup d’état militaire. Il y a 52 ans,  c’était les premier coup d’état militaire soutenu par les Etats-Unis qui a renversé un gouvernement élu sous prétexte d’établir un régime démocratique. Crime politiques : Les militaires ont pendu un premier ministre et deux ministres élus par le peuple.

Je vais aller encore plus loin, à une époque plus de 70 ans avant.  Les années 40…

Quand nous avons commencé à l’enseignement primaire dans les écoles kémalistes, on nous appris la suprématie de la nation turque et la religion islamique, et le rôle indiscutable de l’Armée turque dans la défense de cette suprématie non seulement contre les ennemis extérieurs comme Grecs, Bulgares, Russes, Georgiens, Arméniens, Arabes, Iraniens, mais également et surtout contre les ennemis intérieurs. D’abord les minorités ethniques et religieuses, Arméniens, Grecs, Kurdes, Assyriens, Juifs, puis les opposants de gauche.

La jeune république turque née des cendres des ruines de l’Empire ottoman, adoptant toute de suite les mêmes méthodes répressives que celles de l’Ittihad  Terakki, a lancé sa grande offensive contre le peuple kurde et toutes ces forces d’opposition.

Après la domination politique, économique et militaire des Etats-Unis sur le pays après la deuxième guerre mondiale et l’adhésion de la Tuirquie à l’OTAN,  l’Armée turque s’est chargée d’une autre mission: défendre les intérêts de Washington contre l’Union soviétique. Considérant toutes les minorités ethniques et religieuses ainsi que les opposants de gauche comme la cinquième colonne du bloc de l’Est, le terrorisme d’Etat exercé par les militaires est devenu plus brutal, plus destructif.

Même après un retour au régime parlementaire dans les années 80, l’armée turque a effectué le 28 février 1997 une autre intervention directe dans la politique.

Malgré un conflit d’intérêt au début entre les militaires et les dirigeants islamistes, s’est réalisé une alliance d’ennemis frères sur la même politique répressive.

Depuis lors, sous le nouveau régime militaro-islamiste, des milliers de dirigeants politiques, des centaines de journalistes et juristes ont passé le nouvel an derrière les barreaux simplement pour avoir revendiqué les droits et les libertés du peuple kurde ainsi que des minorités nationales et religieuses d’Anatolie.

Selon les derniers chiffres, le nombre des condamnés ou détenus pour terrorisme s’élève à 8.190.

Le carnage des paysans kurdes à la fin de l’année 2011 par l’aviation turque était le dernier exemple des atrocités commises par des forces étatiques. 

La constitution anti-démocratique prônant la supériorité et le monopole de la race et de la langue turques (Articles 3, 42 et 66), imposée en 1982 par la junte militaire, reste toujours en vigueur.

L’article 4 déclare que l’Article 3 ne pourra jamais être modifié, même la modification de cet article ne pourra jamais être proposée. ??En plus, un système électoral imposant un seuil national de 10% est toujours maintenu au détriment des partis politiques représentant des opinions différentes, notamment prokurde ou de gauche, afin que le parti islamiste reste au pouvoir avec une majorité absolue dans le Parlement malgré un score électoral inférieur à 50%.??

Malgré la soi-disant "démilitarisation" du Conseil National de la Sûreté (MGK), les militaires continuent à dicter leurs choix militaristes  par les déclarations médiatisées du chef de l’Etat-major ou des commandants des forces terrestres, aériennes ou navales. ??Les militaires exercent leur contrôle sur la vie économique du pays par le biais de leur holding financier sui generis OYAK et d’une série d’industries de guerre.??

Le code pénal turc, applaudi par l’Union Européenne, constitue toujours une menace sur la liberté de presse. Plus d’une cetaine de journalistes, majoritairement kurdes et de gauche, se trouvent toujours dans les prisons turques. Des centaines de personnes sont toujours jugées pour insulte à la nation turque, à l’Armée, au gouvernement ou aux forces de sécurité en raison de leurs critiques, en vertu de l’article 301 (l’ancien article 159) du CPT. ??

La Loi Anti-terreur qui condamne toute expression contestataire comme un "délit de terrorisme" reste toujours en vigueur.? ?Toutes les initiatives pacifiques du mouvement national kurde en vue d’arriver à une solution pacifique sont systématiquement déclinées et les opérations militaires se poursuivent afin de satisfaire la voracité de l’Armée et de l’industrie de guerre.

Actuellement, de milliers de dirigeants ou bourgmestres kurdes sont jugès après avoir été scandaleusement arrêtés et menottés.

Malgré quelques réformes cosmétiques, les droits égaux ne sont toujours pas reconnus pour le peuple kurde ainsi que pour les minorités ethniques ou religieuses du pays, notamment  arméniennes, assyriennes, grecques et alévites.

Ankara ne montre aucune intention de reconnaître les injustices et atrocités commises dans l’histoire de la Turquie et poursuit une politique absolument négationniste. ??

Encouragé d’une part par la soumission des gouvernements européens aux chantages d’Ankara, et d’autre part, par le fait que plusieurs dirigeants n’hésitent pas à marchander avec les missions diplomatiques et les organisations d’extrême droite turque pour obtenir quelques voix de plus dans les villes et quartiers habités par les ressortissants turcs, le régime turc s’ingère de plus en plus dans la vie sociale et politique des pays.

L’opération de conquête impériale des dirigeants d’Ankara se renforce  avec le soutien d’une campagne de propagande de grande envergure… Les films ou les séries de télévision sur  la Conquête d’Istanbul ou sur la splendeur de la dynastie ottomanne en sont de derniers exemples.

Dans ces conditions, peut-on attendre une véritable démilitarisation et démocratisation en Turquie et dans les communautés turques des grandes métropoles européens?

Comme nous avions répété maintes fois avec les amis kurdes, arméniens et assyriens, les conditions suivantes doivent absolument être remplies pour que la Turquie soit une véritable démocratie et pour qu’elle puisse adhérer à l’Union Européenne:??   

* Entière modification de la constitution actuelle imposée par les militaires; suppression des articles 3, 4, 42 et 66 prônant la supériorité et le monopole de la race et de la langue turques.?   

* Diminution du budget des dépenses militaires utilisé pour opprimer le peuple kurde et menacer les pays avoisinants.?   

* Modification radicale du système électoral imposant un seuil national de 10% au détriment des partis politiques représentant des opinions différentes, notamment pro-kurde ou de gauche.?   

* Une amnistie générale doit être déclarée pour tous les prisonniers ou inculpés politiques.?   

* Suppression de tous les articles anti-démocratiques du code pénal turc et de la loi anti-terreur et d’autres lois répressives.?   

* Arrêt des poursuites judiciaires contre des journalistes, écrivains, artistes, enseignants.?   

* Reconnaissance sans exception et sans restriction des droits fondamentaux du peuple kurde et des minorités assyrienne, arménienne et grecque.?   

* Reconnaissance du génocide commis au début du 20e siècle contre les Arméniens et les Assyriens.?   

* Arrêt de toute ingérence d’Ankara dans la vie politique et sociale des pays accueillant des ressortissants de Turquie.?

Je souhaite que votre conférence fasse une contribution à la réalisation d’une Turquie  véritablement démocratique et non-militaire..

 

 

 

 

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