Le projet Nabucco
Quand on examine le projet Nabucco, il est évident que sa réalisation et surtout son financement paraissent beaucoup plus ardus que prévu. Le premier problème qui se pose est d’ordre financier, car sa réalisation sera très coûteuse et on peut se demander qui va payer en cette période de crise financière aiguë. L’Union européenne ne s’est guère engagée et elle a d’autres chats à fouetter, les investisseurs privés ne veulent pas payer plus d’un tiers du coût global et il faut faire appel aux banques européennes qui seraient moins réticentes si leurs gouvernements cautionnaient le projet, or ceux-ci, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie sont-ils capables, dans l’état actuel de l’économie, de fournir un appui politique et financier à la réalisation du projet? De plus, la Hongrie et la Bulgarie jouent sur deux tableaux: ils soutiennent Nabucco mais aussi le projet russo-italien " South stream ", en fait leur préférence va à celui qui fournira le gaz au meilleur prix dans les meilleurs délais. Une grande partie de la décision dépend de la Turquie qui aimerait vendre le gaz d’Asie Centrale passant par Nabucco, mais reste rétive quand on veut limiter son bénéfice à des " revenus de transit ". On dit qu’elle serait cependant prête à offrir toute garantie à l’Europe et à limiter ses appétits en se contentant du bénéfice du transit.
Reste cependant encore un autre problème à résoudre: assurer la fourniture de suffisamment de gaz en provenance d’Asie Centrale. L’Azerbaïdjan est le principal adhérent au projet mais il veut, avant de s’engager, qu’on lui garantisse la vente de son gaz, or tant qu’aucune décision politique et financière n’est prise sur la construction de Nabucco, il ne peut pas signer un accord ferme. Pour le Turkménistan, le problème est encore plus complexe, en effet le pays est encore lié pour quinze ans à la Russie par un contrat avec une clause d’exclusivité. On est donc devant le problème classique de " la poule et l’œuf ", il faut un gazoduc pour accéder au gaz, mais on veut des assurances de livraison de ce gaz pour amorcer le projet du gazoduc Nabucco.
L’inquiétude de l’Europe
Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’Europe a de quoi s’inquiéter car ses problèmes énergétiques vont doubler d’ici 2020, ce qui impliquerait que la Russie fasse passer ses livraisons de 65 à 105 milliards de m3 , ce qui semble difficile à réaliser si la Russie et l’Ukraine continuent à interrompre les livraisons selon leur humeur ou leurs problèmes de factures.
On sait aussi que la Russie envisage de vendre son gaz aux Américains ce qui augmente de façon notable les inquiétudes européennes. Quand on importe l’essentiel de son gaz, on a besoin d’être propriétaire du gazoduc qui vous approvisionne donc renouveau d’intérêt pour le projet Nabucco. Or si celui-ci n’est toujours pas décidé, c’est en partie causé par son coût prohibitif (plus de dix milliards de $) et aussi par une certaine incertitude quant à son approvisionnement, mais ce n’est pas tout!!!
Lien avec la question kurde
Un autre problème soulevé par les financiers est le fait qu’en Turquie, le gazoduc devra traverser le territoire kurde. Dans la situation actuelle, tant que " la question kurde " reste un problème politique important, tant que la minorité kurde maltraitée ne peut envisager de connaître des lendemains plus paisibles et une accession pleine et entière à une réelle citoyenneté en Turquie, il est impossible d’affirmer que le gazoduc ne sera jamais l’objet d’attentats. Il est évident que les financiers ne sont pas prêts à investir dans un projet coûteux à la merci d’une possible destruction même partielle qui interromprait le trafic gazier. Rappelons que c’est animé par une crainte similaire que les Géorgiens ont attaqué l’Ossétie du Sud car ils pensaient que leur gazoduc amenant le gaz d’Azerbaïdjan à la mer Noire était trop proche de la république autonome et risquait donc une attaque " terroriste ".
La Turquie tient beaucoup au projet Nabucco pour des raisons financières mais aussi parce qu’il conforterait son dossier dans les pourparlers d’adhésion à l’UE. Si elle veut que ce projet se réalise, elle doit comprendre les hésitations des financiers liées à la non-résolution de la question kurde, le risque d’un attentat est crédible et même le triplement de son armée ne pourrait rien faire pour l’empêcher. Elle doit prendre le taureau par les cornes et répondre rapidement aux attentes pleines et entières des Kurdes sinon le projet Nabucco tombera à l’eau.
Rappelons que les projets russes du North Stream (en mer Baltique) et du South Stream (en mer Noire) avec une capacité de plus de 86 milliards de m3 devrait suffire à couvrir les besoins accrus de l’Europe et si elle s’engage vis-à-vis de la Russie avant que Nabucco dépasse le stade d’un projet illusoire, ce sera un grave échec pour l’économie turque : comme dans la fable de La Fontaine, elle pourra dire " adieu vaches, cochons… " et son rêve sera brisé.