Il y a quarante ans, les prisons turques étaient pleines de contestataires, les médias soumis à une autocensure, et dans une frénésie ultranationaliste, tous les voisins de Turquie, la Bulgarie et la Grèce à l’ouest, la Syrie et l’Iraq au sud, l’Iran, l’Arménie et la Géorgie à l’Est, et l’Union soviétique au nord, étaient considérés l’ennemi mortel de patrie de la suprême nation turque.

Quant aux peuples arabes, arméniens, assyriens, grecs et kurdes, dont l’Anatolie est la véritable mère-patrie même avant la conquête turque du 11e siècle, étaient la cinquième colonne des ennemis encerclant la Turquie.

Dix ans plus tard, après le coup d’état de 1980, le même scénario.

La répression est devenue plus féroce notamment après le lancement de la résistance armée du peuple kurde.

Après avoir écrasé toutes les organisations de gauche sous la botte de l’armée, l’Etat turc a déclenché une sale guerre contre le peuple kurde avec des arrestations massives, exécutions sommaires, tortures, destructions des villages, déportation de pauvres paysans kurdes, procès de masse, condamnations à vie, emprisonnement des dizaines de milliers, assassinat des journalistes et intellectuels kurdes… Sans oublier, bien entendu l’exil politique des milliers de Kurdes, Arméniens, Assyriens, Ezidis et des Turcs contestataires.

Une sale guerre qui a coûte dizaines de milliers de morts ou de handicapés.

Lors de l’hiver 2011-2012, le gouvernement AKP comptaient toujours sur un scenario sri lankais: Anéantissement militaire de la guérilla kurde. Mal calculé. Contrairement à l’attente du gouvernement, en été 2012, la guérilla kurde a frappé sur tous les fronts et ont pris le contrôle d’une large zone.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement s’est vu obligé d’accepter l’appel d’Abdullah Öcalan d’entamer un processus de paix et de faites certains réformes timides.

Bien sûr qu’aujourd’hui nous sommes très loin des carnages de la sale guerre grâce à, en grande partie, au cessez-le-feu de la guérilla kurde et aux efforts des responsables du mouvement national kurde pour une solution pacifique et démocratique à tous les problèmes chroniques de notre pays, non seulement la reconnaissance des droits fondamentaux du peuple kurde, mais tous les autres peuples d’Anatolie, y compris le peuple turc qui est l’otage depuis des décennies du lavage de cerveaux des pouvoirs kémalistes et récemment des dirigeants turco-islamistes de l’AKP.

La révolte légitime kurde dans le Kurdistan de Turquie est aujourd’hui accompagnée et renforcée par la révolte d’une nouvelle génération des métropoles occidentales.

Il s’agit d’une lueur d’espoir.

Mais il y a un autre nouvel évènement historique dans la région qui renforce encore cette lueur d’espoir: Rojava.

L’ouest du grand Kurdistan, le Kurdistan de Syrie.

Après le Kurdistan autonome d’Iraq, tout le monde témoigne aujourd’hui la naissance d’une autre autonomie kurde en Syrie.

La lutte de libération des Kurdes de Syrie n’est pas une nouvelle étape avancée dans leur résistance contre le régime baathiste, il s’agit également d’un combat héroïque contre la mainmise des forces obscures comme Al-Qaïda et Al-Nusra  sur ce pays avec le soutien honteux des pays comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Les jihadistes de tout poil utilisent l’arrière-cour turque comme base de repli dans leur combat contre le régime syrien. En retour, le gouvernement islamiste turc instrumentalise ces extrémistes pour lutter contre le Parti kurde de l’union démocratique.

La frontière est ouverte à ces jihadistes, mais un mur de la honte est construit entre les villes jumelles de Nusaybin, côté turc, et de Qamichli, côté syrien, séparées depuis le traité de Sèvres en 1920, ceci pour briser la résistance des Kurdes syriens.

La Syrie, pour moi et pour les démocrates de mon pays, est le point référence de plusieurs évènements historico-tragiques:

On n’oublie jamais le premier génocide du 20e siècle, le génocide des Arméniens. Comment des milliers de déportés ou rescapés de ce génocide ont péri dans le désert de Deir ez-Zor.

On n’oublie non plus la résistance héroïque des villageois arméniens dans le mont Moussa.

Les Assyriens et les Kurdes, eux aussi, ont toujours trouvé un refuge dans ce pays voisin quand la répression kémaliste lance des chasses à l’Homme. 

On n’oublie non plus le rattachement du sandjak Alexandrette à la Turquie avec la complicité de l’état français.

Pour ma génération qui a vécu les coups d’état de 1971 et 1980, la frontière syrienne était la seule porte d’évasion.

La résistance kurde s’est organisée long temps grâce à l’accueil de ce pays voisin.

Mais encore ce pays, cédé aux chantages d’Ankara, n’a pas hésité de chasser le leader de cette résistance, Abdullah Öcalan,  qui a été capturé et rendu prisonnier de guerre avec le soutien actif des agents des Etats-Unis et d’Israël.

Refuge de tous ces rescapés, la Syrie est devenu aujourd’hui pour eux un nouvel enfer… Des milliers de chrétiens ou alaouites sont victimes de la férocité des jihadistes.

En plus de l’hostilité du régime d’Ankara, les Kurdes de Syrie doivent aujourd’hui se défendre contre les coups injustes des dirigeants du Kurdistan du sud.

Le dernier show médiatique de Tayyip Erdogan avec Masoud Barzani et le chanteur kurde Siwan n’était qu’une manipulation pour diviser les Kurdes non seulement en Turquie mais également les diviser pour empêcher la réunification de tous les Kurdes non seulement de quatre pas voisins mais aussi les Kurdes de diaspora.

Juste lendemain de ce show médiatique, Erdogan a fait une nouvelle marche arrière en déclarant qu’il ne pense jamais une amnistie générale pour les prisonniers politiques et en répétant son slogan: “Une seule nation, une seule drapeau, un seul état”.

Il fait l’éloge pour la visite de Barzani, qui était jusqu’hier traité comme un chef de tribu, parce que avec lui on a conclu plusieurs accords lucratifs notamment en ce qui concerne l’exportation du pétrole du Kurdistan du sud.

Erdogan, qui avait des relations privilégiées avec Esad il y a quelques années fait aujourd’hui tout possible pour empêcher une solution pacifique en Syrie tout en provoquant ses alliés occidentaux. Son argument: Un dictateur sanglant comme Esad ne peut et ne doit pas rester au pouvoir une seconde. 

Or le même Erdogan n’hésite pour un seul moment de soutenir un dictateur génocidaire comme le président soudanais Omar Hassan al-Bachir ou les régimes totalitaires de l’Arabie saoudite or des émirats arabes.

L’ambition affiché de Tayyip Erdogan et de son ministre affaires étranger Davutoglu est des rendre la Turquie une puissance régionale, même mondiale comme l’Empire ottoman.

A l’intérieur, le pouvoir d’Erdogan maintient toujours la terreur d’état pour écraser toutes les forces d’opposition.

Les honteuses opérations policières contre les résistants du Park de Gezi  sont la dernière tâche noire sur son front.

Alors qu’un parlait de la fraternité turco-kurde à Diyarbakir en présence de Barzani, des milliers de hommes et femmes kurdes se trouvaient dans les prisons, comme le leader kurde Abdullah Öcalan.

Des centaines de journalistes, écrivains sont soit dans les prisons ou souvent devant les tribunaux.

Toujours, il n’y a aucun geste pour éclaircir du massacre de Roboski.

Et le retour de chanteur kurde Siwan Perwer après un exil de 37 ans a été présenté par Erdogan comme le début de retour des exilés dans leur pays d’origine.

Dans les diasporas kurdes, arméniens, assyriennes, même turque il y a toujours dizaines de milliers d’exilés attendent une véritable démocratisation dans leur pays d’origine, non de shows trompeurs.

Et incroyable mais vrai, la Turquie est toujours dirigée selon un constitution répressive et négationniste imposée il y a plus de 30 ans par les militaires. Une soi-disant tentative de faire une nouvelle constitution est terminée en échec juste il y a trois jours.

Tayyip Erdogan se prépare à une nouvelle conquête des pouvoirs lors des élections proches pour les communes et la présidence de République l’année prochaine et pour les législatives en 2015.

L’an 2015. Le centième anniversaire du génocide des Arméniens et des Assyriens.

En vue de contrecarrer la commémoration de ce génocide dans le monde et plus particulièrement en Europe, le gouvernement a déjà mobilisé ses missions diplomatiques et les journalistes turcs au service du lobby d’Ankara.

Les célébrations du 50e anniversaire  de l’immigration turque en 2014 et les festivités d’Europalia-Turquie en 2015 seront utilisées avec tous les moyens étatiques et avec le soutien des amis européens.

Après quelques années d’intervalles, l’Union européenne a ouvert il y a quelques semaines un nouveau chapitre des négociations affirmant sa volonté d’accélérer le processus d’adhésion.

Il est vraiment incroyable de faire un tel geste alors que la violation des droits de l’Homme dans le pays se poursuit tous azimuts.

La répression de l’Etat turc se poursuit non seulement en Turquie, mais également dans tous les pays du monde. Bahar Kimyongür vient d’être arrêter ce matin en Italie en raison d’un bulletin rouge délivré par Ankara à Interpol.

Pour finir, je tiens à vous rappeler que ce beau pays est une terre des mythes et légendes.

Notre génération a vécu et vit toujours entre des espoirs et désespoirs.

Comme dans mythe de Sisyphe, nous sommes condamnés à rouler un énorme rocher en haut d’une montagne, qui retombe à chaque fois de l’autre côté et qu’on doit ramener de nouveau au sommet.

Aujourd’hui soit le jour d’espoir.

Plus particulièrement avec la présence ici du leader de la résistance des kurdes syriens.

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