Une intox semée par des provocateurs en quête de sensations fortes sinon par des ultra-gauchistes qui cherchent à jouer les victimes ? Pas si l’on en croit les très nombreux rapports de commissions d’enquêtes parlementaires turcs, les enquêtes judiciaires belges et les révélations des truands concernés. Autre témoin de cette effroyable réalité : le cadavre d’un barbouze abattu à Liège dans la nuit de Noël 1997 par l’un de ses pairs.
Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1997, Osman Nuri Van est retrouvé mort d’une balle dans la tête en plein centre de Liège.
Ce membre actif des Loups Gris[1] avait été recruté comme agent de la MIT (service d’intelligence turque) au département des opérations. Sa dernière mission fut de se rendre en Europe pour éliminer le secrétaire général du DHKP-C, Dursun Karatas.
En Belgique, le faste dans lequel vit Osman Nuri Van pourtant sans emploi apparent, en particulier sa Mercedes flambant neuve payée cash, mais aussi sa discrétion et ses allers-retours répétés entre la Belgique et la Turquie, attirent l’attention de la Sûreté belge qui le soupçonne de se livrer à du trafic de drogue[2].
La filature dont il fait l’objet facilitera sans doute la tâche des enquêteurs dans la découverte de son tueur. Ce dernier, très vite identifié, s’appellerait Alper Gözelli et serait un homme de main du célèbre parrain de la maffia fasciste Alaattin Cakici[3].
D’après Fatih Tufan Gülaltay, un ami de la victime, actuellement inculpé dans le procès Ergenekon, c’est Mehmet Eymür, le sinistre président du département de contre-terrorisme qui aurait commandité l’assassinat de Van. Sans le citer, Gülaltay parle d’un tueur qu’Eymür aurait aidé à s’évader de Turquie. Grâce au rapport de la commission d’enquête parlementaire qui fut constituée après le scandale de l’accident de Susurluk, on sait désormais que Allaattin Cakici, recherché dans plusieurs dossiers de grand banditisme et de meurtres, s’est vu effectivement recevoir un passeport diplomatique par Eymür par l’intermédiaire les agents dénommés Yavuz Ataç et Ibrahim Ari qui l’ont aidé à quitter clandestinement le pays via l’Italie.
Bref, les deux pistes connues du meurtre d’Osman Nuri Van mènent invariablement à Cakici ou à son chef, Mehmet Eymür.
Ceci étant, les 3 septembre 1998, le Parquet de Liège envoie une commission rogatoire internationale conduite par la juge d’instruction Mireille Julémont pour interroger Cakici, alors incarcéré à Nice et qu’un certain nombre de sites français d’information présentent comme suit:
" Quarante et une exécutions, pas une de moins, mais peut-être beaucoup plus. Tel est le "tableau de chasse" de l’un des plus redoutables parrains turcs, Alaattin Çakici. Arrêté en 1998, à Nice, par la police française, il a été extradé après avoir passé de longs mois à l’isolement, à la prison des Baumettes. Alaattin Çakici avait commencé sa "carrière" au sein des Loups gris, une organisation turque d’extrême droite particulièrement violente. Au fil des années, Çakici a mis ses talents au service de divers trafics, dont, bien évidemment, celui de l’héroïne. Bénéficiant de l’appui de certains secteurs des services secrets turcs, le parrain s’était également rapproché de quelques responsables politiques avec lesquels il a, de toute évidence, traité de juteuses affaires. "[4]
Cakici, en bon fasciste, vouait par ailleurs une haine insatiable envers le communisme depuis le début des années 1970. Il avait fait de l’élimination de Dursun Karatas une affaire personnelle car il voulait venger l’un de ses cousins, Necati Cakici, un Loup Gris notoire qui avait été tué lors d’une vaste opération de guérilla menée en octobre 1978 par le mouvement de la Gauche révolutionnaire (Devrimci Sol) dans le quartier de Gültepe à Istanbul[5]. Son père sera à son tour abattu en 1980 par une autre organisation de gauche. En Europe, des années durant, il aurait recherché Dursun Karatas par monts et par vaux. En plat pays aussi, où des sympathisants du DHKP-C et d’autres émigrés turcs antifascistes l’auraient croisé à plusieurs reprises dans des circonstances plutôt cocasses. Ces derniers l’auraient en effet découvert ivre mort dans des bars et dans la rue[6]. S’il s’agit là d’une bien curieuse façon de procéder pour un " fin limier " de son calibre, comment expliquer que lui qui s’était juré d’éliminer le dirigeant du DHKP-C, fasse assassiner un individu qui nourrissait les mêmes ambitions que lui ?
D’autant que Cakici et Osman Nuri Van avaient tous deux le même patron : Mehmet Eymür, président du département de contre-terrorisme.
Des jalousies ? Des frustrations nourries par l’inefficacité des uns et des autres dans la traque de Dursun Karatas ? Est-ce d’avoir abusé de la confiance de son patron Mehmet Eymür en dilapidant l’argent destiné à la capture de Karatas dans les bordels et les casinos ? S’est-il vu reprocher par Cakici d’empiéter sur sa chasse gardée ? En d’autres termes, l’enjeu entre les deux truands serait-il une guerre de contrôle des marchés de l’héroïne ? On ne connaîtra sans doute jamais la véritable raison.
Toujours est-il que même si aujourd’hui Fehriye Erdal s’est mise à l’abri bien malgré elle et si Dursun Karatas est décédé, les Loups Gris rôdent toujours dans le Royaume et faute de pouvoir trouver de nouvelles proies, ils se dévorent parfois entre eux comme l’illustre le meurtre d’Osman Nuri Van.
 
 
 
Bahar Kimyongür
Le 5 mars 2009

 

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