C’est la Fondation Info-Türk qu’il dirige qui vient de l’annoncer : le dissident turc Dogan Özgüden, vétéran du journalisme progressiste de Turquie, vient de subir de nouvelles menaces en Belgique même, pays où il est réfugié depuis le coup d’Etat des militaires turcs de 1971.
Une véritable "campagne orchestrée" a été lancée contre la Fondation Info-Türk par les medias pro-gouvernementaux d’Ankara allant jusqu’à l’incitation au lynchage de Dogan Özgüden.
Info-Türk un témoin gênant de la réalité turque
L’ire d’Ankara et de ses porte-plumes – ou faut-il dire porte-flingues – a été déclenchée par deux communiqués d’Info-Türk.
Le premier concernae les déclarations ultranationalistes d’un ministre turc et de l’ambassadeur de Turquie en Belgique, Fuat Tanlay, prononcées lors d’une cérémonie à l’Ambassade de Turquie à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Kemal Atatürk.
Ce communiqué en date du du 11 novembre 2008 avait fait état de deux déclarations
– Le ministre turc de la Défense Nationale Vecdi Gönül a fait des éloges à la politique de déportation des Grecs et Arméniens de Turquie organisée au début de la République. Il a affirmé que la création d’une nation turque aurait été possible grâce à cette politique ordonnée par Atatürk.
– L’ambassadeur turc à Bruxelles, Fuat Tanlay, quant à lui, a fait la lecture d’un poème haineux en éloge au drapeau turc : "Je creuserai la tombe de ceux qui ne te regardent pas avec mes yeux. Je ruinerai le nid de l’oiseau qui vole sans te saluer."
Deux jours plus tard, soit le Le 13 novembre 2008, le site Gündem, tout en citant entièrement l’a attaqué dans les termes suivants :
"Comme vous le voyez, les ennemis du Turc ne dorment pas. D’après eux, commémorer nos leaders, en faire l’éloge, dire notre fidélité et être fier de notre histoire, est un acte criminel. Il n’est pas du tout difficile de comprendre à quel niveau ils sont loin de l’amour de la nation et de la patrie."
Ce même 13 novembre 2008, Info-Türk a pour son malheur publié un communiqué commun avec la Fédération Euro-Arménienne, l’Institut Kurde de Bruxelles, l’Association des Arméniens Démocrates de Belgique et l’Association des Assyro-Chaldéens de Belgique.
Ce communiqué, intitulé Cette Turquie, ça suffit appelait à un changement radical de l’attitude de l’Etat turc vis-à-vis de ses minorités et de tous ses citoyens. Il a été diffusé lors d’une conférence internationale organisée dans les salles du Parlement européen pour la commémoration du massacre en 1938 de la population kurde de Dersim par l’Armée turque.
Le lendemain, le 14 novembre 2008, le site Beltürk a attaqué Info-Türk dans les termes suivants, en se référant à la lettre de remerciement envoyée par l’Association des Journalistes de Turquie (TGC) à Dogan Özgüden pour ses services rendus à la presse turque depuis plus de 50 ans :
"On connaît toujours l’hostilité des associations arméniennes, assyriennes et kurdes contre la Turquie. Dans une autre facette de cette hostilité se trouvent Info-Türk et son éditeur Dogan Özgüden.
"Alors que les membres de l’Association des Journalistes de Turquie déploraient dans leurs journaux cette sorte de conférence anti-Turquie, le fait d’avoir envoyé une lettre de remerciements à Dogan Özgüden, organisateur de ces choses-là, fait preuve du soutien à l’hostilité contre la Turquie par la même institution."
Hystérie autour de la conférence sur le Dersim
Dix jours plus tard, le 24 novembre 2008, le même site a attaqué Özgüden avec un autre article intitulé "Le scandale du prix de l’Association des Journalistes" . Comme la remise du prix avait eu lieu récemment, l’attaque de Beltürk est ainsi formulée :
"Ce document portant la signature du président Orhan Erinç et le secrétaire général Celal Toprak à été envoyé par courrier à Dogan Özgüden qui vit en Belgique et ne se rend pas à la justice turque depuis 37 ans. (…) Özgüden se trouve parmi les défenseurs principaux de la thèse de soi disant ‘génocide arménien’. Il affirme que la Turquie aurait commis le génocide des Arméniens, Kurdes et Assyriens. Un des récents ‘services distingués’ de cet avant-garde du lobby anti-turc est la ‘Conférence de Dersim’ tenue récemment.
"Il a fondé en 1967 la revue socialiste Ant et les éditions Ant. Fuyant la Turquie et installé en Belgique après la révolution [1] de 1971, il a organisé ‘la Résistance démocratique de Turquie’ et lancé des campagnes contre les forces armées turques. Connu en Belgique par ses activités hostiles à la Turquie, Ozgüden a mené l’organisation de plusieurs conférences sur ‘le génocide’. "
Dans l’article, on fait également l’allusion suivante au lynchage d’un journaliste d’opposition en 1922 :
"Dans les années de la lutte nationale, le journaliste Ali Kemal a été tué par lynchage car il a demandé l’exécution de Mustafa Kemal Atatürk. En 2000, le nom de ce journaliste a été mis dans la liste de ‘journalistes martyres’ établie par l’Association des Journalistes de Turquie. (…) Après la victoire de la lutte nationale, Ali Kemal a été arrêté le 6 novembre 1922 à Istanbul et tué à Izmit par lynchage sur le chemin d’Ankara".
Or, le journaliste-éditeur Ragip Zarakolu, spécialiste en matière de répression des minorités en Turquie, précise que la raison du lynchage d’Ali Kemal n’était pas son opposition au mouvement kémaliste, mais sa détermination à poursuivre les responsables du génocide arménien. En effet, plusieurs opposants du mouvement kémaliste avant la guerre ont été intégrés dans l’appareil de l’Etat après la proclamation de la République à condition qu’ils ne prononcent aucun mot à propos de la liquidation des minorités anatoliennes.
Il faut se rappeler qu’à la suite de pareilles provocations faites par les médias turcs, en 2006, un journaliste d’origine arménienne, Hrant Dink, avait été assassiné à Istanbul.
Beltük bras armé de la ‘pensée d’Atatürk’ en Belgique veut la tête d’Özgüden
L’auteur de l’article de Belturk explique plus tard qu’il a contacté l’Association des Journalistes de Turquie pour faire pression. Ci-dessous est reprise la dernière partie de son entretien avec le secrétaire général de la TGC :
– Q : Il y a quelques 50 procès à l’encontre de Dogan Özgüden. Il ne peut pas retourner en Turquie. Le Conseil d’administration n’a t-il pas tenu compte de ceci ?
– R : Il y a des procès contre plusieurs journalistes. Nous défendons ceux qui ont des procès liés à la liberté de la presse.
– Q : Mais il ne peut pas retourner en Turquie. Dès qu’il rentre, il sera mis en état d’arrestation.
– R : Vous ne savez rien à ce sujet, n’est-ce pas ?
– Q : Il y a une décision du tribunal.
– R : Une décision en Turquie ? Y’a-t-il vraiment une décision ? Concernant quoi ?
– Q : Insultes à TSK (Forces armées turques).
– R : Je comprends. Si vous pouvez nous aider, je serai ravi. Si vous l’avez, envoyez-nous cette décision. Ainsi nous pouvons la mettre à l’ordre du jour du Conseil d’administration et l’envoyer au Conseil de discipline. Ce conseil peut décider d’invalider son affiliation.
Menacé ouvertement de lynchage, Dogan Özgüden a déposé une nouvelle plainte auprès du Procureur du Roi contre les instigateurs à la violence et au lynchage.
Ainsi, ouvertement, alors que toutes les forces démocratiques de Turquie protestent sans cesse contre l’application de l’article 301 du Code pénal turc, contre l’absence totale de liberté d’expression et de critiques à l’égard de l’Etat et l’Armée, Ankara demande par le biais d’une ‘association’ sise en Europe l’expulsion d’un journaliste qui se trouve depuis des années sous la menace d’arrestation pour avoir critiqué les putschistes du coup d’état de 1971.
… Et pendant ce temps la Commission européenne tresse des louanges à Ankara et Olli Rehn loue le ‘pacte des civilisations’.
[1] ndlt : coup d’état