À la fin de la Première guerre mondiale qui provoqua, entre autres, la fin de l’Empire ottoman, la situation des Kurdes empira. On démembra leur territoire et, dans la mesure où c’était sans doute la région du Moyen-Orient la plus riche en perspectives économiques, on octroya des territoires du Kurdistan (1) à des pays arabes tels la Syrie et l’Irak.
Le cas de l’Irak est particulier dans la mesure où ce fut surtout sous la pression de la Grande-Bretagne qu’on rattacha la grande et riche province de Mossoul, majoritairement kurde, à cet État créé de toutes pièces qui allait devenir l’Irak. Cette province, riche en pétrole facilement exploitable, faisait de l’Irak un pays très intéressant sur le plan économique. Rappelons l’adage de l’époque: « Où marche le Kurde, le pétrole jaillit ». On avait aussi complètement fermé les yeux sur le risque d’en faire une poudrière, car avec le mépris habituel des Occidentaux vis-à-vis des peuples dits sous-développés, on y avait placé côte-à-côte des Arabes chiites (majoritaires) sous la sujétion des Arabes sunnites et à leurs côtés des Kurdes indépendantistes.

Les Kurdes se retrouvaient englués dans un pays majoritairement arabe où ils étaient minoritaires. Sous l’impulsion de la famille Barzani, ils se révoltèrent à de nombreuses reprises afin d’obtenir, si pas l’indépendance, une certaine autonomie. Après l’invasion de 2003 par les forces américaines, les Kurdes se sont sentis plus forts ! N’avaient-ils pas permis à ces forces d’utiliser leurs aérodromes situés au Nord du pays alors que la « fidèle alliée turque » leur interdisait l’accès des siens. Cette autorisation permit à l’armée américaine de prendre l’armée irakienne en tenailles, au Nord grâce aux aéroports kurdes, au Sud grâce aux aéroports kowétiens et des autres États arabes du Sud.

L’invasion américaine avait anéanti complètement la structure politique et administrative de l’Irak arabe, d’autant plus affaibli que les chiites, majoritaires et longtemps écrasés par les sunnites, voulaient prendre leur revanche. À Bagdad, le pouvoir central s’est rebâti très lentement et les perspectives d’exportations massives de pétrole et de nouveaux contrats avec des compagnies pétrolières permettent d’envisager actuellement une amélioration substantielle des ressources du pays.

Mais, il y a un problème ! Les Kurdes d’Irak estiment, à juste raison, qu’il faut revoir la frontière de leur région sous gouvernement autonome. Le concept du territoire kurde se base sur l’Histoire de la région et il s’oppose au concept arabe qui estime intangible la frontière fixée arbitrairement par Saddam Hussein, à savoir la ligne administrative séparant les provinces kurdes de Dohouk, Erbil et Souleymanieh du reste du pays.
Pour comprendre, il faut revenir à l’année 1970, quand Saddam Hussein, très affaibli et en butte aux révoltes incessantes de Kurdes, conclut un pacte avec le PDK de Mahmoud Barzani, dirigeant kurde, il promettait un certain degré d’autonomie aux régions kurdes. En dépit des accords signés, le 11 mars 1974, Saddam Hussein proclama unilatéralement une loi d’autonomie du Kurdistan en contradiction avec les accords signés avec Barzani, car elle excluait du Kurdistan la majeure partie de l’ancienne province de Kirkuk à savoir la ville et sa zone pétrolière. La nouvelle province fut appelée At T’amin ce qui, en arabe, signifie « nationalisation », nom très explicite de ce rapt du bassin pétrolier kurde par le dictateur.

En 1991, les armées de Saddam Hussein furent expulsées du Koweit qu’elles venaient d’envahir,par les troupes occidentales; l’insurrection kurde provoqua l’intervention de l’armée irakienne, mais   ,sous la pression des État-Unis et de ses alliés, elle dut se retirer se retirer sur le tracé défini en 1974 qui devenait la frontière légitime et qu’on appela « la ligne verte ». Celle-ci fut reprise comme telle dans la Constitution de 2005 mais elle stipulait toutefois que tous les territoires « contestés » au delà de cette ligne devait avoir leur statut fixé par référendum fin 2007.
Cette consultation n’a jamais eu lieu, elle fut toujours reportée, cependant les dirigeants kurdes qui ont toujours mis en cause la légitimité de la « ligne verte », ont réussi, profitant de l’ignorance des troupes américaines, à faire reculer à certains endroits la fameuse ligne qui devint la « Trigger Line », ligne de démarcation entre les « peschmerga »(2) et l’armée irakienne. Malgré cette rectification unilatérale de la frontière, les Kurdes sont mécontents dans la mesure où ils n’ont pas pu récupérer la province de Kirkuk dans son entièreté. Les territoires contestés recèlent d’énormes quantités de gaz et de pétrole, ils sont, en toute justice réclamés par les Kurdes, afin de renforcer leur embryon d’État (3), mais il est très clair que le gouvernement de Bagdad n’est pas prêt à y renoncer, il ne veut pas d’un Kurdistan puissant qu’il soit autonome comme actuellement ou carrément indépendant.

Pour compliquer encore plus la situation, il faut savoir que, si un accord est éventuellement possible entre les Kurdes, les Arabes et les Turkmènes de Kirkuk capables de gérer conjointement leur situation sans s’entretuer, par contre il ne faut pas oublier que dans le cas des Turkmènes, cela se complique dans la mesure où Ankara, en leur nom, se mêle au débat.
Erbil, capitale du Kurdistan autonome, ne cache pas qu’après des décennies de souffrances dues à l’arabisation forcée de certains de ses territoires et les massacres que sa population y a subis, puisque certains ont été obligés de se réfugier en Iran, elle veut récupérer les terres d’où elle  été déplacée par la force.
Dans ce jeu périlleux, on est plongé dans une situation des plus complexes, car si Kirkuk a subi un nettoyage ethnique dans les années 1970 et une arabisation forcée, on assiste maintenant à une kurdisation larvée ( takrid ), car les Arabes de cette région sont incités à « retourner dans leur région d’origine » alors qu’ils sont à Kirkuk depuis au moins deux générations et n’ont plus de foyer ailleurs.
Kirkuk a été, de 1930 à 1958, une ville modèle de pluralisme et de coexistence ethnique et c’est l’arabisation forcée qui a mis fin à cette situation, mais il est évident que, si les Kurdes affirment à juste titre qu’ils agissent avec moins de violence que le Baas de Saddam Hussein, cela pose un problème humain qu’il ne faut pas négliger.
En 2007, une mission d’assistance des Nations-Unies pour l’Irak (MANUI) a été chargée par le Conseil de sécurité des Nations Unies de trouver une solution à ces frontières contestées acceptable par tous. Le temps presse, car les troupes américaines quitteront l’Irak d’ici un an ou à peine plus et ce n’est pas les Nations Unies qui pourront combler le vide. Le conflit entre le Kurdistan et le reste de l’Irak devra être réglé d’ici là, sinon le nouvel État sera ébranlé dès le départ.
Les Kurdes veulent préserver leurs droits acquis et leurs gains territoriaux obtenus depuis 2003, ils exigent que le référendum promis soit enfin réalisé et, dans la mesure où ils jouissent d’une grande autonomie sur leur territoire, ils peuvent de facto exercer un contrôle sur les territoires disputés.

Le Kurdistan irakien jouit actuellement d’une véritable prospérité surtout si on le compare au reste de l’Irak et il est certain que l’obtention de leur autonomie territoriale est un signal fort pour les Kurdes de Syrie, d’Iran et de Turquie. Si les USA verraient sans doute avec un certain intérêt que les Kurdes d’Iran ou de Syrie continuent leur lutte contre leurs gouvernements centraux, il est certain que leur alliée turque s’opposera, avec toujours la même violence, à toute velléité d’autonomie des Kurdes de Turquie qui vivent toujours la pire discrimination qui soit et rappelons les derniers évènements en Belgique qui prouvent que les tentacules empoisonnées d’Ankara touchent même les réfugiés politiques kurdes en Europe. Dans le même ordre d’idée rappelons aussi que le PKK est qualifié d’organisation terroriste par les USA (comme d’ailleurs par l’UE), alors que le PJAK, qui est son homologue en Iran et qui lutte contre le gouvernement central iranien, est fourni en armes par les USA et Israël. On est terroriste selon l’endroit où l’on se bat pour sa liberté et rappelons que les maquisards belges et français, luttant pendant la deuxième guerre mondiale contre les forces d’occupation allemande, étaient traités de terroristes par les nazis.
On est souvent le « terroriste » selon « l’autre » quand on défend ses droits humains dont la liberté d’utiliser sa langue et d’être reconnu en tant que citoyen jouissant pleinement de ses droits. !

(1) Kurdistan: dénomination octroyée par les sultans seldjukides dès le XIIe siècle au territoire habité par les Kurdes.
(2) Peshmerga : maquisards kurdes, cette dénomination peut être traduite  par « ceux qui regardent la mort en face »
(3) Les Kurdes, un peuple en quête d’État – E. Marescot – Institut Kurde de Bruxelles – 2006

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