DROITS-TURQUIE:

ISTANBUL, 30 octobre (IPS) – Les procès, les pressions et les intimidations du pouvoir à l’égard des intellectuels, des journalistes, des éditeurs, des syndicalistes et des défenseurs des droits humains s’exercent tellement que l’habitude de vivre avec la censure s’installe dans la vie quotidienne des personnes. De plus, une nouvelle forme de répression s’inscrit maintenant dans le livre noir des atteintes à la liberté en Turquie : la répression croissante de la liberté d’expression sur internet, explique un rapport trimestriel de l’agence de presse Bianet à paraître ce vendredi 31 octobre.

 

" Les pressions et les répressions du pouvoir sont tellement fortes que les gens commencent finalement à avoir l’habitude de vivre dans une société qui pratique systématiquement la censure. La conséquence directe de cette politique est une limitation excessive du champ d’investigation journalistique et scientifique ", explique Erol Önderoglu, auteur du baromètre trimestriel sur la liberté d’expression édité par l’agence de presse turc Bianet basé à Istanbul. Ce rapport trimestriel d’une trentaine de pages relatif aux mois de juillet, août et septembre 2008 dresse la liste des atteintes à la liberté d’expression dans les médias locaux et nationaux turcs.

" Pour justifier la limitation de la liberté d’expression, le pouvoir invoque toujours l’argument de précaution visant à ne pas saboter le travail de l’armée qui lutte officiellement contre le terrorisme. Cette logique a encore été appliquée dans deux cas récents (Aktütün et Daglica) contre le traitement médiatique relatif à des opérations militaires contre le PKK où l’attitude de la presse dérangeait le pouvoir ", ajoute le journaliste qui pointe du doigt l’augmentation du nombre de procès contre les idées considérées comme dérangeantes par " l’armée, le gouvernement ou les institutions essentielles de l’Etat ".

L’arsenal juridique utilisé par le pouvoir pour réprimer la liberté d’expression repose essentiellement sur 4 textes juridiques : le code pénal turc, les lois antiterroristes, la loi sur la presse et une loi spéciale de 1951 qui protège la mémoire d’Atatürk [le fondateur de la République]. " Non seulement les paramètres de pression augmentent mais l’impunité aussi car de plus en plus de délits et de crimes commis par les représentants de l’ordre restent impunis. Pour les victimes, il ne reste alors plus qu’une seule adresse pour espérer obtenir une réparation des dommages causés : la Cour européenne des Droits de l’Homme ", déclare Erol Önderoglu.

Blogger, YouTube, Dailymotion inaccessibles en Turquie

Parmi les nouvelles formes d’atteinte à la liberté d’expression, le rapport aborde les carences législatives qui aboutissent à la censure sur internet. Ainsi la loi n° 5651 relatif aux délits commis sur internet dont la portée générale permet aux juges d’ordonner la fermeture totale de n’importe quel site internet sur base d’une seule donnée contestée.

" Cela fait plus de 6 mois que YouTube n’est plus accessible en Turquie car des vidéos portant atteinte à la mémoire d’Atatürk y figureraient. Au lieu de décider sur l’interdiction de ces vidéos, c’est la totalité de YouTube qui devient inaccessible pour les internautes surfant à partir du territoire turc. Les autorités exigent non seulement le retrait de ces vidéos des registres d’accès nationaux mais également la suppression des données des registres universels, une demande difficilement acceptable pour les gestionnaires américains. Le site Dailymotion est également suspendu pour des motifs similaires. Des sites d’information pro-kurde sont également interdits par le pouvoir et vu le contexte turco-kurde très tendu, les avocats ne font même pas appel de ces décisions judiciaires ", explique le journaliste.

L’auteur signale aussi le cas d’un auteur créationniste dénommé Adnan Oktar [plus connu sous le pseudonyme de Harun Yahya] dont les avocats attaquent régulièrement des sites internets qu’ils jugent diffamatoires à l’égard de leur client. C’est ainsi que le site d’un syndicat représentant pas mois de 150.000 membres (egitimsen.org) a été fermé par le Conseil de communication (RTUK). Adnan Oktar, notoirement connu pour ses publications créationnistes dans le monde musulman sous son pseudonyme Harun Yahyah, a ainsi déjà pu faire interdire 61 sites internets (dont le site du sociologue Richard Dawkins, les Google Groups et le site du quotidien Vatan) grâce aux procès qu’il a intenté auprès des tribunaux de l’arrondissement de Gebze et Silivri.

Les avocats d’Adnan Oktar ont récemment pris contact avec les gestionnaires de l’agence Bianet en vue de demander le retrait de certains articles jugés " dérangeants " sous peine de poursuite judiciaire. Bianet vient d’annoncer publiquement son refus de retirer les articles controversés.

La censure sur internet en Turquie ne se limite pas à ces exemples puisque des sites très populaires comme EksiSözlük, Blogger.com ou encore Geocities.com ont également été suspendus sur base de plusieurs plaintes devant les juridictions nationales.

Parmi les délits poursuivis par la loi n° 5651 relatif aux publications sur internet, on trouve l’incitation au suicide, la pédophilie, l’incitation à l’usage des drogues et des substances dangereuses, l’obscénité, la pornographie, les jeux de hasards et les délits portant atteinte à la mémoire d’Atatürk. Les éditeurs et les ONG demandent au gouvernement turc de réformer rapidement cette loi jugée trop générale afin d’y apporter une acception plus restrictive et proportionnelle qui puisse garantir la liberté d’expression en ligne.

(FIN/IPS/20008)

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