Le gouvernement turc a jeté en prison ces dernières années plus de journalistes que la Chine, l’Iran ou l’Erythrée, qui ne sont pourtant pas de grands amis de la liberté de presse. Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui a publié un rapport à ce sujet lundi, au moins 76 journalistes sont actuellement sous les verrous en Turquie, dont 61 en raison de leurs écrits ou de leurs enquêtes.

Selon le CPJ, plus de trois quarts des journalistes emprisonnés le sont sans jugement, les autorités soutenant que la plupart des détenus le sont pour de graves délits comme l’appartenance à une organisation terroriste armée, et que leur activité n’a rien à voir avec le journalisme.

« Le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a mis en œuvre une des plus vastes opérations de répression de la liberté de presse de l’histoire récente », estime le CPJ. Cette situation n’est pas neuve, mais elle semble plutôt s’aggraver.

« Il y a presque un an, Philippe Leruth, vice-président de la Fédération européenne des journalistes, a lancé une campagne en faveur de la libération des journalistes turcs emprisonnés, raconte Jean-Claude Defossé, député bruxellois Ecolo et député au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles. J’ai alors proposé une résolution condamnant la répression dont sont victimes de nombreux journalistes en Turquie. J’étais sûr que cela allait passer sans problème : erreur ! Richard Miller du MR a en effet soutenu cette proposition, mais cela a été plus compliqué avec le PS et le CDH. Les élus socialistes ont d’ailleurs amendé le texte en proposant une résolution sur la liberté de presse dans le monde, ce qui ne voulait à mon avis plus dire grand-chose… J’ai finalement réussi à ressortir ma proposition en juin, mais le PS et le CDH ont dit qu’il fallait auditionner des experts. Cela ne me semblait pas indispensable tant il y a sur ce sujet de rapports d’organisations de premier plan comme Amnesty International, Human Rights Watch ou le Haut-commissariat de l’ONU sur les droits de l’homme. J’ai l’impression qu’il s’agissait surtout de retarder l’examen de cette proposition… après les élections communales. Certains partis veulent absolument éviter de froisser leur électorat turc à Bruxelles… L’audition a finalement eu lieu ce mardi après-midi et les experts consultés ont été implacables. La proposition sera mise au vote le 27 novembre. J’espère qu’il n’y aura pas d’autres manœuvres dilatoires… »

Le député MR de la Fédération Wallonie-Bruxelles Richard Miller, qui avait cosigné la proposition de Jean-Claude Defossé, s’est rendu avec d’autres élus MR en Turquie en septembre dernier. « Nous avons à trois reprises évoqué la répression des journalistes face à des responsables, de l’AKP, le parti du président Erdogan, dont l’actuel président du Parlement, Cemil Çiçek, explique Richard Miller. Nous n’avons reçu aucune réponse : nous avions l’impression chaque fois de parler à un mur ! Le seul avec lequel un dialogue a été possible, était un représentant de l’opposition, qui m’a parlé d’une centaine de journalistes en prison ».

Par ailleurs, un accord de coopération a été conclu avant l’été entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Turquie qui prévoit notamment un échange d’informations et de journalistes entre les deux entités. L’AJP (Association des journalistes professionnels) et la FEJ estiment qu’il est « inconcevable de mettre ce volet de l’accord en œuvre sans exiger la libération immédiate des journalistes actuellement détenus en Turquie ».

Interrogé à ce propos, la porte-parole de Rudy Demotte, ministre-président PS de la Fédération Wallonie-Bruxelles, indique qu’il accorde « beaucoup d’attention à la liberté de presse mais qu’il préfère avoir une vision plus globale, soulignant qu’il y a aussi des problèmes en Russie, au Kazakhstan, en Ukraine, en Iran ou en Chine ». Et renvoie à une réponse faite en avril dernier par Rudy Demotte à une question de Jean-Claude Defossé : « Nous ne fermons pas les yeux sur ce qui se passe actuellement en Turquie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille stopper toute coopération avec le pays partenaire. Bien au contraire, l’isolation du pays ne permettrait pas de faire évoluer la situation ».

Du côté des Affaires étrangères et du ministre Didier Reynders, « on traite cette question dans le cadre de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, précise Michel Malherbe, le porte-parole. Le ministre a rencontré la semaine dernière le président turc, le Premier ministre et son homologue, et il a évoqué l’élargissement de l’UE qui se base sur une série de critères. Nous endossons par ailleurs le récent rapport d’évaluation européen sur l’adhésion de la Turquie, qui est très critique notamment sur la liberté d’expression ». (Le Soir, Véronique Kiesel, 24 octobre 2012)
http://www.info-turk.be/410.htm#PS

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