NAPLES – Turkey is an “Islamofascist regime within Europe, a country in which over 100 journalists are in prison”, said journalist and former member of the Turkish Workers’ Party Dogan Ozguden on Tuesday.
Ozguden, 81, was speaking at the opening of ‘Imbavagliati’, the international festival of civil journalism running in Naples until September 24. “The coup in July has only served to legitimise a repression that was already underway, while Turkey continues to sit on the Council of Europe and its entry into the EU is still under discussion,” the former reporter for Milliyet and Sabah and editor of left-wing daily Aksam said.
Ozguden recounted his professional history and the forms of censorship to which he was subjected, leading to several trials for thought crimes that obliged him to flee to Belgium. However, “nothing irreversible”, he said. “Turkey is a great country with many young people, many ethnic groups and religions,” Ozguden said. (ANSA)
Two videos of the conference:
https://www.facebook.com/repubblica.napoli/videos/1135778846517119/
https://www.facebook.com/repubblica.napoli/videos/1135757543185916/
Texte complet de l’intervention de Dogan Özgüden à Napoli
Chers confrères, chers amis,
Tout d’abord, je tiens à partager avec vous l’émotion que j’ai ressentie d’avoir été invité par une organisation italienne pour parler de la liberté de la presse en Turquie.
Ma vie de journaliste a commencé en 1952 à Izmir. En effet je n’avais pas choisi le journalisme comme métier, j’ai été obligé de travailler dans n’importe quel secteur pour financer mes études supérieures. Mais quand j’ai commencé à travailler comme sténographe dans un journal d’opposition, le journalisme m’a tellement fasciné que je continue à l’exercer et ce depuis 64 ans.
Bien sur, mon vécu en tant que fils d’un cheminot parmi les paysans des steppes anatoliennes, pauvres et opprimés pendant la deuxième guerre mondiale, avait déjà déterminé mon chemin pour la lutte pour l’égalité et la justice sociale…
Mais c’est un confrère italophone qui travaillait alors pour une radio italienne après la guerre qui m’a donné une vision universelle des affaires internationales pour briser la censure imposée par le régime pro-américain d’Ankara.
Je n’oublierai jamais la visite d’un journaliste italien du quotidien L’Unita, juste avant le coup d’état militaire de 1971… Ce journal avait publié une série de reportages sur le calvaire des journalistes progressistes de Turquie dans les années 60.
Le coup d’état du 12 mars 1971… Inci et moi, nous avons du quitter la Turquie, car des centaines d’années de prison étaient demandéesx contre nous par les procureurs à cause de nos écrits et publications en tant que dirigeants de la revue Ant.
Au début de notre exil avec Inci, en 1973, lors de ma visite à Rome pour faire connaître la répression du régime militaire, j’ai reçu un accueil et une solidarité exceptionnels dans les rédactions de L’Unita et Il Manifesto. Ils nous ont même proposé de nous installer à Rome pour mener nos activités d’information contre le régime d’Ankara.
Enfin, pendant notre exil en Belgique, alors que l’Espagne, le Portugal et la Grèce se trouvaient également sous les dictatures fascistes comme la Turquie, nous avons eu la plus grande solidarité de la communauté italienne et de leurs organisations.
45 ans plus tard, malheureusement, je dois toujours parler de la violation des droits de l’Homme et plus particulièrement de la liberté d’expression et de la presse.
J’ai commencé ma carrière de journaliste juste deux ans après la prise du pouvoir du parti démocrate qui promettait le respect total des droits de l’Homme et de la liberté de la presse. Mais ce ne fut pas le cas … Déjà en 1951, des centaines d’intellectuels ont été arrêtés et condamnés pour des activités communistes.
Après la chute de l’Empire ottoman, la nouvelle république turque sous le leadership de Mustafa Kemal Atatürk avait promis de moderniser le pays et d’établir toutes les normes démocratiques.
Hélas… Cette attente, malgré certaines réformes pro-occidentales, reste depuis 1923 un rêve irréalisable…
La nouvelle république reste toujours fidèle aux idées ultranationalistes des auteurs ottomans qui ont commis en 1915 le premier génocide du siècle.
Alors qu’au début on attendait la punition des responsables du génocide arménien et assyrien, le nouvel état républicain ne l’a jamais reconnu, au contraire, il a promu les auteurs de ce crime contre l’humanité, en leur attribuant des postes de ministres, députés, gouverneurs ou commandants de l’Armée.
En plus, durant la première année de la république, en 1923, plus d’un million de Grecs ont été déportés vers la Grèce.
De 1923 à 1937, l’armée turque a effectué plusieurs opérations génocidaires contre la population kurde dans les provinces du sud-est du pays.
En 1934, après une campagne antisémite dans les médias turcs, les Juifs des villes de Tekirdağ, Edirne, Kırklareli et Çanakkale ont été victimes de pogroms.
Et ça continue : durant la 2ème guerre mondiale, plusieurs Arméniens, Grecs et Juifs ont été envoyés dans les camps de travail forcé à l’est du pays sous prétexte qu’ils n’avaient pas payé une taxe exceptionnelle sur leurs biens.
En 1955… En tant que jeune journaliste, j’ai témoigné avec horreur des pogroms contre les communautés grecques, arméniennes et juives dans les métropoles d’Istanbul et Izmir… Les atrocités que le pouvoir de Menderes a programmées pour faire pression sur la Grèce dans le conflit chypriote… La sauvagerie déclenchée après un incendie de la maison natale d’Atatürk à Thessaloniki, par un agent des services de renseignements turcs en Grèce.
Durant la première année de la loi martiale, plusieurs journalistes et intellectuels ont été arrêtés et la responsabilité du gouvernement et des médias à son service a été dissimulée.
Et les dernières années de ce pouvoir se sont succédées avec plusieurs arrestations et emprisonnements des journalistes d’opposition.
Les officiers kémalistes qui ont fait le coup d’état du 27 mai 1960 contre ce pouvoir, malgré l’adoption d’une constitution relativement plus démocratique, ne se sont pas empêchés d’emprisonner des journalistes progressistes.
La première victime était l’humoriste Aziz Nesin qui avait remporté en 1956 le premier prix du concours international d’humour à Bordighera en Italie.
Pour éviter les pratiques disciplinaires des pouvoirs politiques contre les médias, le rédacteur en chef du quotidien Milliyet, Abdi Ipekçi, a pris l’initiative de mettre sur pied un Conseil de déontologie journalistique dont je faisais partie en tant qu’un des dirigeants de la Fédération des syndicats de journalistes de Turquie.
Malheur… Malgré nos efforts et notre bonne volonté, après l’arrivée au pouvoir du parti de la justice de Demirel, une nouvelle vague de répression contre les journalistes a commencé. Mon épouse Inci Tugsavul et moi, en tant que rédacteurs de la revue de gauche Ant, étions parmi les principales cibles de cette répression.
Les commandants en chef de l’Armée turque, à la suite de leur coup d’état du 12 mars 1971 ont systématisé la chasse à l’homme, notamment envers les journalistes et intellectuels de gauche et nous avons du quitter notre pays pour contribuer à la campagne en Europe contre la junte militaire.
A ce propos, je dois dire quelques mots sur le destin tragique du journaliste Abdi Ipekçi avec qui j’ai collaboré au niveau journalistique et syndical.
Comme plusieurs intellectuels démocrates, il a été assassiné en 1979 par un loup gris, militant d’extrême-droite, dont vous connaissez sans doute le nom en raison de sa tentative d’attentat contre le Pape Jean-Paul II en Italie deux ans plus tard.
Ce festival constitue également une commémoration du journaliste italien Giancarlo Siani, assassiné par la Camorra en 1985.
L’assassinat des journalistes est une des pratiques répressives en Turquie contre les médias. Depuis le début du 20e siècle, une centaine de journalistes ont été assassinés. Un grand nombre de journalistes arméniens et kurdes ont été victimes de ce crime. L’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink il y a neuf ans en est un exemple récent.
Le coup d’état le plus sanglant de l’Armée était sans aucun doute celui du 12 septembre 1980.
Il a complété la militarisation en imposant au pays une constitution raciste et despotique après une répression encore plus sauvage.
• Plus de 650.000 personnes arrêtées.
• Des dizaines de milliers de personnes torturées et victimes de mauvais traitements.
• 517 personnes condamnées à la peine capitale. 50 personnes exécutées.
• 14.000 personnes déchues de leur citoyenneté.
La constitution de 1982 nie les droits fondamentaux des peuples kurde, arménien, assyrien, yézidi et grec de Turquie. Les articles 3, 42 et 66 prônent la supériorité et le monopole de la race et de la langue turques. L’article 4 déclare que l’article 3 ne pourra jamais être modifié et que même sa modification ne pourra jamais être proposée.
Il s’agissait bien entendu d’une dictature militaire faisant souvent référence aux principes kémalistes ou ataturkistes…
Quant au pouvoir actuel du parti islamiste, AKP, qui dirige la Turquie depuis 14 ans, qu’a-t-il changé?
Il est vrai que l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et sa bande islamiste en 2002 a été bien applaudie par le monde occidental, les Etats-Unis en tête, dans l’espoir de voir dans ce pays un allié représentant l’Islam modéré…
Lors qu’ils étaient à l’opposition dans le cadre du parti du bien-être de Necmettin Erbakan, ils n’ont raté aucune occasion de qualifier l’Union européenne comme la cinquième colonne du sionisme et du christianisme…
Toutefois, dès qu’ils arrivent au pouvoir, afin d’avoir le soutien des Etats-Unis et des pays européens contre la menace de l’Armée, Tayyip Erdogan et Abdullah Gül ont changé de discours et se sont déclarés les amis les plus fidèles de l’Union européenne.
C’est la raison pour laquelle les pays européens, sans avoir vu les preuves concrètes de la démocratisation et du respect des conventions des droits de l’Homme, ont embrassé Tayyip Erdogan et sa bande comme garants musulmans modérés contre la monté du radicalisme islamique et ont ouvert les négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Or, pendant leur pouvoir durant 14 ans, ils n’ont pas éradiqué les vestiges du régime fasciste du 12 septembre 1980 et n’ont pas adopté de nouvelle constitution démocratique conforme aux conventions internationales des droits de l’Homme et des peuples.
Au contraire, Erdogan a utilisé tous les moyens pour établir un système présidentiel avec les pouvoirs étendus.
Après la chute des votes de son parti aux élections du juin 2015, il a enterré le processus de paix avec le mouvement national kurde et déclenché une période de violence afin de récupérer les votes islamistes et nationalistes avec les slogans “un seul drapeau, une seule nation, une seule patrie et un seul état!”.
Ayant regagné la majorité absolue aux élection de novembre 2015, il a déclaré une guerre totale à tous ses opposants quelle que soit leur ligne politique. D’un côte principalement les Kurdes et les gens de gauche, d’un autre côté les militants ou sympathisants du mouvement islamiste rival de l’imam Fethullah Gülen.
Comme l’incendie de Reichstag en Allemagne hitlérienne de 1933, la tentative douteuse du coup d’état du 15 juillet cette année-ci lui a donné l’occasion de porter le coup de grâce à tous ses opposants avec les arrestations, les purges dans l’armée, la police, la justice et dans tous les services publics.
Après la proclamation de l’état d’urgence dans tout le pays, le parlement a été pratiquement suspendu et Erdogan dirige le pays avec les décrets ayant force de loi.
La destruction des villes kurdes et l’assassinat de leurs habitants sans distinctions hommes, femmes ou enfants, sont devenus exercices quotidiens des forces de sécurité.
Les maires élus par la population kurde sont éloignés de leurs postes et la gestion des municipalités est confiée aux serviteurs du parti d’Erdogan.
Des milliers de juges et procureurs ont été écartés et la justice est devenue le mécanisme répressif de l’injustice.
Malgré son abolition il y a une vingtaine d’années, Erdogan parle souvent de rétablissement de la peine capitale.
Les médias qui ont déjà subi depuis des années une épuration par la saisie des propriétés ou le licenciement forcé des journalistes indésirables sont devenus maintenant les propagandistes inconditionnels de la dictature de Recep Tayyip Erdogan.
L’arrestation des journalistes, artistes ou universitaires atteint des dimensions alarmantes.
Il y a deux semaines, une délégation internationale d’organisations de la société civile était à Istanbul pour manifester sa solidarité avec les écrivains, journalistes et médias de Turquie.
Composée des représentants du PEN, de la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et de Reporters sans frontières, la délégation lance un cri d’alarme:
“Les voix dissidentes ont longtemps été étouffées en Turquie; cependant, l’état d’urgence instauré après le coup d’Etat du 15 juillet est maintenant utilisé pour légitimer une répression sans précédent contre les médias indépendants et d’opposition. Selon les décrets d’état d’urgence, tout individu peut être placé en garde à vue jusqu’à 30 jours sans mise en examen. Cette mesure est détournée pour incarcérer arbitrairement des journalistes.
“A l’heure où la mission quittait la Turquie, 114 journalistes étaient en détention. Ces personnes sont détenues pendant plusieurs jours, sans inculpation, souvent sans accès à leur avocat ou à leur famille. Plusieurs rapports inquiétants font état de conditions de détention déplorables: tabassages, surpeuplement et accès refusé aux médicaments de base.
“Alors qu’une poignée de médias indépendants continuent de publier, l’état d’urgence a installé un climat d’autocensure généralisée, privant la population d’un débat libre et diversifié au moment où elle en a le plus besoin.”
J’ajoute que ce qui est le plus inquiétant pour le moment, avec ses pratiques répressives aggravantes, c’est que Recep Tayyip Erdogan est en train de transformer la république laïque de Turquie en un état islamique basé sur la synthèse turco-islamique, inspirée de la Charia.
Malgré tout cela, probablement en raison de la position géopolitique et stratégique de la Turquie, ce régime peut toujours faire partie du Conseil de l’Europe et maintenir les négociations avec l’Union européenne pour son adhésion.
Je crois qu’il est temps pour les démocraties occidentales de réagir avec plus de détermination contre cette nouvelle dictature islamo-fasciste au sein de l’espace européen.
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